Légende des images paues dans ALPES LOISIRS.
Jean Bruel, le dernier propriétaire :
Jean Bruel a des allures de gros nounours. Il parle avec une tendresse bourrue. A quatre-vingt-deux ans, cet homme-là a toujours la navigation dans le sang. Le patron des Bateaux-mouches parisiens (depuis 1949) est né au bord de « la plus belle rivière du monde : la Dordogne ». A Souillac exactement. Depuis, il a pas mal roulé sa bosse, fait tous les métiers et les plus insolite : conducteur de loco, ramasseur de gentianes et même chanteur nègre au Casino de Chamonix. Il résume sa guerre avec un humour féroce : « J'ai fait beaucoup d'acrobaties dans les Alpes en liaison avec les Forces françaises libres. » Le France ? C'était « un rafiot dont on pouvait rêver ». Il expédie l'histoire en trois phrases pour ne pas réveiller de vieilles blessures : « J'ai installé deux ou trois meubles qui m'amusaient, style Majorelle. » Les mots se font caressants pour évoquer sa « machinerie », les pistons, comme si le France avait été sa dernière danseuse.»
Le France pourrait-il être renfloué ? De l’avis général, non… Même Jean Bruel paraît avoir renoncé à cette idée qui lui a longtemps trotté dans la tête : « Je m’étais promis, juré q’un jour… »
René Roudau, Comme un voilier...
« Il avait très peu de tirant d'eau, 1,60 mètres, pour un tirant d'air énorme. Avec le vent, il se conduisait comme un voilier ». René Roudaut, soixante-dix-huit ans, est le dernier pilote du France. Celui qui l'a conduit le 9 septembre 1963 à ce que l'on peut considérer comme sa dernière demeure, sur un "corps mort", un point d'ancrage au milieu de l'eau, dans la baie d'Albigny. Dans le vestibule de son appartement annécien, il y a encore une grande photo du France. On distingue une vague silhouette dans la dunette, « C'était moi », assure-t-il. Cet ancien d'Indochine, qui a passé vingt ans en mer entre les pétroliers, les canonnières ou les remorqueurs, est devenu un marin d'eau douce. Il a travaillé pour la « Compagnie » entre 1 952 et 1 983.
Maryse Gallien, une naissance sur le France
"Pendant deux ans, j'ai fait la caisse à bord, Je donnais les billets sur le quai et j'embarquais. C'était un plaisir », se souvient Maryse Gallien. Elle a travaillé de 1960 à 1965 pour la « Compagnie », « en saison » puis à plein temps. Années apparemment fertiles en événements gais, heureux, loufoques... « Il y a eu une naissance sur le France. La maman a mis au monde son bébé dans le grand salon. Nous avions écarté les autres passagers. L'ambulance attendait à l'arrivée. » Elle se souvient encore comme si c'était hier de cette croisière très arrosée d'anciens combattants qui s'amusaient, comme des petits fous, à faire tanguer le bateau : « Impossible d'accoster au grand désespoir du pilote ». Un autre jour, il a fallu calmer des passagers au bord de la crise de nerfs: le bateau était coincé au milieu du lac, en plein brouillard, la sirène meuglant... « Que le France ait coulé, cela m'a surpris et peiné. Il a connu une fin lamentable », ajoute-t-elle en guise d'épitaphe..