Le naufrage du France
 
(intégral du texte de Annie Crouzet paru dans Alpes Loisirs N° 20 de juillet/août 1998)
        La suite...
Histoire d'un bateau de légende
 
C’était le dernier bateau français à vapeur à aube. Sur le lac d'Annecy, il a navigué de 1909 à 1962. Reconverti en villa flottante, il a sombré en 1971. Le France, qui avait accueilli le président de la République Albert Lebrun, et qui fut le symbole d'une certaine douceur de vivre pour des générations d’Annéciens, gît depuis, par quarante-deux mètres au fond du lac.
 
Paris, le téléphone avait sonné chez Jean Bruel. La gendarmerie, le capitaine Bonte sans doute, devait lui annoncer une mauvaise nouvelle, qui tenait en quatre mots: "Votre bateau a coulé. " Le France ? Le France ! Le samedi 13 mars 1971 au matin, bien des Annéciens et les riverains du lac ont dû se pincer pour y croire, ou se frotter les yeux : "Non, je rêve. " Non, ils ne rêvaient pas. Le France qui dansait dans la baie d'Albigny, depuis plus de sept ans, avait disparu. "Il était très sensible au vent. Il changeait dix fois d'orientation. Une vraie girouette", se rappelle Georges Gondran. Le France avait fini par faire partie du paysage comme la Tournette. Imagine-t-on la Tournette et ses falaises disparaître du jour au lendemain comme ça ? Le France avait bel et bien coulé dans la nuit du vendredi au samedi. Les plongeurs, dont faisaient partie les gendarmes Grand Jacquot et Pernod, allaient très vite s'en assurer. Quelles étaient les raisons de ce naufrage ? Les rumeurs se déchaînaient. A plus de vingt-cinq ans de distance, les mots blessent encore Jean Bruel et indignent toujours Georges Gondran qui fut son homme de confiance, son factotum: "sabotage", "ballets roses"...
S'y ajoutent des regrets. On aurait peut-être pu sauver le France. On peut parler de non- assistance à bateau en danger si des témoins ont bien vu, sans donner l'alerte, le bâtiment donner de la gîte de 30°, c'est-à-dire s'incliner, pendant trois jours. C'était le signe qu'il "embarquait 'de l'eau. Une voie d'eau qui s'élargit doucement... Et due au sale hiver qu'Annecy vient de s'offrir. On retrouve et on interroge le dernier gardien du France, Emile Vanhoute, aujourd'hui décédé, que tout Annecy appelait le Pépé. Cet ancien charpentier et "calfat" a vécu à bord du France pendant deux ans avant de prendre sa retraite à terre. "Il y avait toujours des infiltrations d'eau et cette eau aboutissait dans la cale. Du temps où j'habitais le bateau, j'ai trouvé jusqu'à deux centimètres de glace dans la cale et cela même en ayant un chauffage", déclare-t-il au Dauphiné Libéré. Pour lui, l'explication du naufrage est simple: une plaque de glace qui flotte et qui se transforme en tête de bélier. "Elle devait peser plusieurs centaines de kilos... Je ne dis pas que cela s'est fait tout de suite. Mais en quelques jours la plaque de glace a pu faire péter un rivet. »
 
L’explication est d'autant plus plausible que le France a connu une sérieuse alerte en février 1963 dans le port d'Annecy: on l'a retrouvé "assis", selon le mot de Georges Gondran, au fond du canal avec quarante centimètres d'eau dans la cale, et une cite d'environ 15'. U avarie aurait été provoquée par le gel et l’éclatement d’un tuyau. Semblable mésaventure était arrivée au Chérubin, le premier vapeur de toute l'histoire du lac: "Au cours d'une froide nuit de décembre 1840, le gel détermina une voie d'eau dans ce malheureux navire", nous apprend Jean Robert. Coulé, renfloué, il ne fit pas de vieux os.
 
Les belles heures du France
 
L’histoire du France avait pourtant bien commencé. Dans les vivats. Avec les cuivres. Et la bénédiction épiscopale, puisque le récit de son baptême, es lyrique et approximatif, mentionne "un manteau d'écarlate". Le France était sorti, comme d'autres vapeurs du lac, le Mont-Blanc ou le Ville d’Annecy, des chantiers Escher Wyss de Zurich. En pièces détachées, il était venu par la route jusqu'au hangar de la compagnie de la Puya, sur la rive sud du lac (Les Marquisats aujourd'hui). Et le jeudi 13 mai 1909, il "attendait de s'échapper de sa prison pour se balancer lui aussi sur l'onde bleue du lac". C'est une belle bête. Elégante, racée. 47,25 mètres de long, 12 mètres de large, 350 CV, deux ponts, deux roues à aube... Il peut embarquer jusqu'à sept cents passagers. Annecy, enfin, a son bateau-salon. On a vu grand. C'était la Belle Epoque, où les palaces poussaient comme les champignons. En 1908, les frères Louis et Fabien Gruffaz ouvrent justement le Palace à Menthon. En 1912, on inaugure, à Annecy, l'Impérial et ses deux cents chambres. Certains rêvent pour la ville du Thiou d'une « station estivale » qui rivaliserait en charme, en prince de Galles et autres altesses, avec Aix-les-Bains. Il y a du casino dans l'air. Trois ans après son lancement, le France est déjà une star. Pour une affiche destinée à "vendre" Annecy aux "étrangers", comme on appelle alors les touristes, l'illustrateur François Cachoud choisit le bateau, croqué au beau milieu du lac bleu noir, toutes lumières dehors... Le France est déjà une belle de nuit : ses croisières nocturnes, dans un flot de musique, vont en faire rêver plus d'un.
 
"Lundi dernier, je me suis laissé tenter par le clair de lune lacustre qu'organisait la Compagnie des bateaux. Le beau vapeur France, dans son poil, avait un air de parade ; une foule empressée prenait place sur ses ponts. Dans le lointain, le Veyrier s'assombrissait; un ciel pâlot, des lumières faisaient ressembler les villas et hôtels à de petits morceaux d'or posés épars sur une sombre forêt... ", lit-on en 1928, sous une plume anonyme, dans la Revue de villégiature, de tourisme & d'alpinisme, un mensuel qui donne, entre 1922 et 1937, toute l'actualité d'Annecy, lac d'Annecy et vallée de Thônes.
 
Au cours de cette croisière, le France multiplie les escales. A Menthon, "où des feux de Bengale s'allument". "Ils nous enfument", dit le poète qui est aussi prosaïque. A Duingt, où le château est embrasé. Mais pas à Talloires où, sous les arbres, "des couples tournent lentement aux accents d'un orchestre". Notre rêveur regrette que la musique municipale à bord, n'ait pas alterné ses airs avec "un orchestre de violons".
 
En 1936, le France est encore et toujours une star. Il fait figuration dans les actualités filmées. Albert Lebrun, le président de la République, est venu à Annecy le 5 juillet 1936. Et il est monté à bord du France, sans se départir de son chapeau haut de forme. Léon Laydemier, président du Conseil d'administration de la Compagnie des bateaux à vapeur, est à ses côtés. Beau coup de pub!
On prenait le bateau comme on prend le car aujourd’hui
 
Le France a d'autres clients que les présidents de la République ou les incorrigibles romantiques. L’honorable Compagnie des bateaux à vapeur enregistre trois cent dix- huit mille passagers en 1926, ce qui constitue probablement son record. "Dans ce temps- là, on prenait le bateau comme on prend le car aujourd'hui", résume André Gobeli, « septante-sept ans » au dernier printemps (il est genevois). Le tour des moyens de transport est vite fait. L’automobile, on ne connaît pas. Le PLM et ses trains font juste rêver. Un service régulier d'autocars sera mis en place, sur la rive est du lac, seulement en 1936.
 
Les bateaux assurent donc le trafic voyageurs. En été, il y a neuf services par jour, entre cinq heures du matin et neuf heures du soir. Il faut 2 h 40 mn, voire 3 h, pour faire le tour complet : le France ou ses congénères s'arrêtent à chaque port. Douze escales au total ... Annecy a inventé le bateau-omnibus. On voit de tout à bord... Surtout le mardi, jour de marché immémorial dans la vieille ville. "J'ai même vu des vaches monter sur le bateau pour aller à l'abattoir ou au marché aux bestiaux", affirme M. Gondran. Le France assure un service messagerie : on lui confie ses commandes pour "l'épicerie du lac", quai de la Tournette, qui ravitaille tous les villages riverains.
 
Inexorablement, le temps travaille contre le France, le Ville d'Annecy ou le Mont- Blanc, seuls vapeurs à circuler encore sur le lac vers 1948. Avec la mise en service, en mai 1953, du Fier, une vedette rapide à moteur diesel, ils prennent un sérieux coup de vieux. lis apparaissent sous un jour cruel dinosaures d'un autre âge. Trop lents, trop gourmands de charbon… Tchhhuut Le sifflet prend des accents mélancoliques ... En 1h 15, avec le Fier, le tour du lac est bouclé avec un seul arrêt à Veyrier. On n’a plus le temps d’avoir le temps. Ou alors seulement le dimanche. « Mon papa allait à la pêche. On prenait le bateau avec le pique-nique. On le rejoignait à Menthon ou Saint- Jorioz", raconte Andrée Roudaut. Une croisière à bord du France a le goût de ces sorties dominicales d'autrefois, éclaboussées de soleil, pleines de chamailleries d'enfants, où le temps s'étire en longueur, paresseusement. Deux cent huit mille passagers en 1948, cent trente mille en 1959... implacablement, les chiffres signent la condamnation des vapeurs. Le Mont- Blanc prend sa retraite en 1952. Le Ville d’Annecy est mis au rancart en septembre 1958. Le France commence à se sentir bien seul.
 
« Un bateau comme ça, on ne le met pas au vieux fer »
On commence à s'interroger sur son avenir. On envisage de remplacer la chaufferie, trop gourmande en charbon, une tonne pour chaque escapade sur le lac, par un moteur diesel. Trop cher. Les calculs sont faits et refaits : trente ou soixante-dix millions d'anciens francs, selon deux versions divergentes.
L'épave du France
Ma première vidéo réalisée le 26 novembre 2011. Les ombles chevalier sont peu nombreux en journée, et la visibiité, contrairement aux apparences, était bien médiocre...
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